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aller au contenu | aller au menu | aller à la recherche dimanche 22 avril 2018 sacre par maïa mazaurette le dimanche 22 avril 2018, 01:53 l’œil noir et humide, le capitaine jones regardait louis, et louis regardait distraitement par la fenêtre. il aurait fait beau si la fumée ne cachait pas la totalité du ciel – l’enchevêtrement de corps, de pierre et de bois brûlait doucement. les flammes avaient laissé place aux braises. les canons, retranchés parmi les champs d’oliviers et d’amandiers, avaient cessé de tirer sur le château. la défense trouvait enfin le temps de se réorganiser. comparé aux explosions précédentes, à la rage des cris de guerre et aux hurlements des gardes fauchés par dizaines, le bruit des combats semblait délicat. cette accalmie ne durerait pas. — quand je serai grand, je gagnerai toutes les guerres. louis se tourna vers le capitaine jones en quête d’un signe d’approbation. rien. comme à chaque phrase commencée par « quand je serai grand… », il se heurtait à un silence poli, d’autant plus borné que sa croissance se faisait plus évidente. drapé dans son immense cape à fleur de lys, il soupira. que le reste du monde le veuille ou non, un jour il serait grand, dans tous les sens du terme. père des pères, premier parmi les égaux, souverain suprême de la france fille aînée de l’Église, et même le pape tremblerait devant sa puissance. quand il serait grand, il gagnerait toutes les guerres, et cela ne tarderait plus. l’adolescence rampait sous sa peau. il sentait des forces nouvelles escalader ses muscles, et il faudrait plus que les purgatifs et les saignées pour entraver leur progression. ses bottes favorites, fourrées d’hermine, étaient changées tous les trois mois. quand il touchait ses lèvres, il sentait des poils, encore trop fins, mais annonciateurs d’une barbe qu’il espérait imposante, touffue, digne d’un roi, d’un patriarche et d’un élu de dieu. pour l’instant cette barbe relevait d’une zone trouble entre la destinée et le rêve. pour l’instant louis était un enfant, plus jeune que les plus jeunes des messagers et des apprentis, et en attendant d’être grand, il observait le siège de son château, bien protégé derrière une fenêtre étroite. aucune flèche perdue ne pourrait l’atteindre, ni aucun projectile. pour lui c’était une bataille sans risque, à peine plus réelle que ses jouets de plomb. soixante gardes assuraient sa protection de l’autre côté de la porte en chêne renforcée de métal, dans le cas improbable où l’ennemi percerait le flanc sud. mais cela n’arriverait pas. blanche menait les armées d’une main de maître et personne ne pourrait s’en prendre à louis. personne n’entrerait dans la tour. et lui serait bien incapable d’en sortir. il passait de plus en plus de temps dans cette pièce. peu de cérémonies officielles, de moins en moins de sorties publiques. rien que la chaleur confortable des tapisseries et des rayons du soleil. ce n’était pas si mal. d’après l’abbé rivière, qui le visitait régulièrement, n’importe quel paysan vendrait son meilleur fils pour connaître un tel luxe. les mets les plus fins, les draps de soie, les jouets de laque et d’ivoire, les rêveries de verre, d’or et de corail. louis avait décidé d’être un bon chrétien. aussi se contentait-il de son sort. chaque matin défilaient les précepteurs, une fois par semaine blanche apparaissait dans des tenues extravagantes, le jour du seigneur consistait en une interminable messe privée. sans le capitaine jones, louis se serait senti bien seul. les rares personnes pressées de le voir grandir avaient interdiction de l’approcher. mais il n’était pas malheureux : il attendait. — je ne comprends pas comment ces chiens d’albigeois osent s’attaquer au palais. ils auraient dû être exterminés avant leur regroupement. ils devraient être tués à peine vomis du ventre de leur mère. le cardinal-évêque de poissy, lors d’un entretien privé, lui avait expliqué pourquoi les albigeois, aussi appelés cathares, devaient être brûlés vifs. louis n’était pas sûr d’avoir bien compris, car il était question de principe créateur, de valeur de la récompense dans l’au-delà, et aussi d’incarnation du corps du christ. les affaires religieuses étaient toujours un peu barbantes, mais louis avait écouté poliment. puis barthélemy de roye, le grand chambrier, avait évoqué la richesse du comte de toulouse, les terres fertiles du languedoc et l’indépendance un peu trop marquée des seigneurs du sud. cet argument-ci, louis l’avait bien compris. c’était blanche qui avait eu l’idée de la machination, car selon elle, une femme devait compenser en témérité les rigueurs de son sexe. la famille royale traverserait la france en direction de rome, officiellement pour recevoir la bénédiction du souverain pontife honorius iii. une faible escorte suffirait à réveiller les ambitions. prendre un roi en otage, négocier sa libération, c’était une manœuvre politique courante. sauf que blanche n’était pas folle : des dizaines de milliers de soldats seraient sur le pied de guerre dans le château d’avignon, à dix lieues à peine du luberon et de ses embuscades faciles. la reine avait préparé sa ruse deux années à l’avance, et les guerriers étaient arrivés au compte-goutte derrière les murailles beige. les vassaux du sud avaient senti le piège. ils n’avaient pas attaqué. alors la reine, pragmatique, s’était installée dans le château, avait enfermé louis dans une tour, et l’attente avait commencé. elle n’était pas pressée. elle aimait les jeux d’osselet et les dés pipés. et surtout, plus elle était loin de la cour, plus il était simple de dissimuler la croissance de louis. derrière l’apparente inaction d’une reine qui s’était arrêtée en provence pour laisser passer les froids de l’hiver, un nouveau pouvoir grandissait. leur proie à portée de flèche, les albigeois avaient rongé leur frein. ceux qu’on accusait de bougrerie et de sorcellerie avaient échafaudé des complots, établi des plans, perdu des centaines d’heures en bavardages. au bout de six mois, réduits presqu’en lambeaux par des divisions internes, ils avaient attaqué. l’action était leur dernière chance de mettre fin aux disputes. après tout, le château était censé n’être défendu que par huit cents chevaliers. depuis la veille, louis observait les cathares se heurter à l’imprenable avignon, protégée par ses ponts, sa double enceinte et ses trente mille gardes tous fidèles à la régence. la seule chose que blanche n’avait pas prévue, c’était les catapultes. louis se tourna vers le capitaine jones qui persistait dans son silence. c’en était même inquiétant : aujourd’hui son compagnon, avec sa bouche ouverte et luisante, sa gorge fripée, son teint rougeaud mis en valeur par la blancheur de la chemise, semblait particulièrement léthargique. louis craignait toujours que le capitaine jones finisse terrassé par une quelconque maladie, ou qu’il se tue au service. certains jours, il restait recroquevillé dans son coin. le reste du temps, rien ne semblait pouvoir l’arrêter : il était généreux, plaisant et admirable. louis haussa les épaules, résigné à ne rien y comprendre. sans le capitaine jones, il perdrait tout espoir de devenir un jour roi. en bas, une nouvelle explosion retentit. louis serra ses doigts sur le rebord de la fenêtre, maudissant les albigeois qui tuaient de vaillants sujets. il aimait son peuple. il l’avait peu rencontré, bien sûr, mais il était attaché à la france, dont ses précepteurs lui disaient le plus grand bien. aussi, voir ses futurs hommes mourir à quelques dizaines de mètres le contrariait beaucoup. mais que faisait blanche ? pourquoi ne protégeait-elle pas convenablement le deuxième rempart ? louis inspira rapidement, plusieurs fois, pour se calmer. il avait évoqué ses colères auprès de son confesseur, qui n’avait pas été très intéressé par le sujet et préférait le questionner à propos du capitaine jones. c’est à peine si le futur roi avait appris qu’il fallait séparer les colères vaines, nées de l’orgueil, et les colères légitimes, qui incitent à l’action. un futur roi pouvait-il avoir trop d’orgueil ? difficilement. alors, combien de temps encore l’armée accepterait-elle le commandement d’une femme – fût-elle une reine ? combien de temps… louis le savait exactement. onze mois et onze jours. dès qu’il aurait douze ans, la régence serait contrainte de lui abandonner le pouvoir. son sacre éblouirait reims pour des siècles ! il rêvait de dômes bleus et de couronnes lourdes, de bals interminables et de robes qui s’envolent. il lui arrivait même de poser ses mains sur sa tête pour mieux se représenter le moment où, pour la première fois, on le couvrirait d’or. onze mois et onze jours. blanche n’avait plus que lui, ses trois frères aînés étaient morts, il les avait peu connus. pas d’autre héritier. une succession simple. quand il serait grand, quand il serait reconnu en tant qu’homme, il gagnerait toutes les guerres. la dernière fois que blanche était venue lui rendre visite, il avait tenté de la convaincre qu’il était déjà un homme. sans doute s’était-il senti encouragé par sa robe outrageusement décolletée, par ses mamelons presque exposés, deux taches sombres sous la finesse du corsage blanc. si louis avait été une femme, et plus encore une régente, il aurait tenté de dissimuler sa triste condition, il aurait porté des tuniques droites et caché ses cheveux. mais blanche se moquait de la pudeur. elle riait fort et gouvernait bien. quand louis avait déclaré qu’il était un homme, elle avait éclaté de rire. puis elle l’avait giflé. blanche était connue pour sa sagesse. on disait aussi qu’elle était belle – blonde, dénuée de sourcils, les lèvres étroites, parfaite représentante de la race d’eve. des seins à déchirer n’importe quel corset. indécente jusqu’au bout des ongles peints, presque une prostituée, prête à se vendre pour du pouvoir et pour la france. louis l’adorait. et la craignait. blanche n’avait aucun intérêt à ce qu’il grandisse et elle ne s’en cachait pas. si elle repoussait ce siège, sans doute pourrait-elle prouver à tous qu’une femme était à même de diriger une armée. ou une croisade. ou un royaume. À cette idée, louis sentit son estomac se soulever. il ne le permettrait pas. on ne lui arracherait pas sa france. — je voudrais qu’elle meure. ce n’était pas tout à fait vrai. À l’idée de la régente écartelée entre quatre chevaux, ou traînée nue dans les rues, ou brûlée vive, le capitaine jones se redressa. il ne payait pas de mine. en cet instant, il paraissait bien plus que son âge. son expression était ridicule et terrifiante. il s’étira lentement, comme s’il craignait de sortir de l’ombre. blanche. sa taille fine. son corps rigide. un fils ne saurait éprouver de désir pour sa propre génitrice, mais un capitaine était libre. un capitaine, même enfermé dans une pièce pour veiller sur un futur roi, avait le droit de vouloir baiser la reine. ce qu’il pouvait prendre, il le prenait. prérogative naturelle. une autre forme de courtoisie. une détonation les fit sursauter tous les deux – louis et le capitaine jones. puis une explosion les repoussa vers le fond de la pièce. les murs tremblèrent, dégageant des nuages de poussière. deux tapisseries se détachèrent, le pot de chambre se renversa. louis porta les mains à son visage. il sentit distinctement des pierres se desceller sous ses pieds. aveuglé, il se cogna dans une lanterne, puis décida de se laisser tomber assis contre un mur. dans le couloir, les soldats hurlaient. ils disaient que les albigeois avaient invoqué des dragons pour les attaquer, et louis pensa en massant son crâne que si blanche avait entendu pareille idiotie, elle les aurait sur le champ fait fouetter (il avait remarqué l’intérêt de blanche pour les dos marbrés, pour les infimes mouvements des muscles qui tentent d’éviter les coups). il s’écoula cinq bonnes minutes avant que louis ose regarder à travers ses doigts. la chambre n’avait plus rien à voir avec ce qu’il avait connu. le lit était couvert de poussière, gris comme une tombe de granit. les ors étaient ternis, les argents brillaient faiblement, un fauteuil s’était renversé. louis gloussa, pris aux tripes par le déferlement de bruit et de vibrations. rien à voir avec le calme habituel ! et c’était tellement gai ! il n’avait jamais rien vécu d’aussi exaltant. — c’était vraiment proche, cette fois ! le futur roi se leva, voulut se pencher par la fenêtre pour constater les dégâts, mais un subit afflux de fumée le fit reculer. il protégea sa bouche avec sa manche et plissa les yeux. les volutes noires prirent des formes bestiales, et à mesure qu’elles s’approchaient, louis y distinguait des constellations de particules poisseuses. on aurait dit une apparition du démon. ce n’était plus du tout gai, et même franchement dangereux. jamais dans sa vie louis n’avait été menacé (à part, bien sûr, par le simple fait de grandir). c’était terriblement excitant. malgré l’euphorie liée à la nouveauté, et tout en marchant à reculons vers la porte, louis se mit à trouver sinistre le subit assombrissement de sa chambre. il toussa plusieurs fois. — À l’aide ! quand il s’aperçut que personne ne pourrait l’entendre de l’autre côté de la porte, il tapa de toutes ses forces sur la cloison. — ohé, soldats ! À l’aide ! on étouffe ici ! mais même aux oreilles de louis, le son ne portait pas. c’était une voix d’enfant, fragile et aiguë, déplacée dans ce corps déjà trop grand. un cri de pucelle. — viiiiite ! Évidemment, la porte était verrouillée de l’extérieur. blanche ne prenait aucun risque. louis se laissa tomber dos à la porte. l’air était plus respirable près du sol. À mesure que la fumée remplissait la pièce, il se pelotonna à même le tapis, économisant son souffle. c’était donc la solution choisie par sa mère pour se débarrasser de lui ? un accident durant un siège, des soldats trop débordés pour se rendre compte que l’héritier crevait sans assistance ? rageur, il cracha dans sa manche. sa salive était noire. le pot de chambre puait encore plus que les pierres carbonisées. dans des conditions pareilles, même le capitaine jones ne pouvait rien faire… il gisait, misérable, muet comme toujours. les vibrations d’une seconde explosion le soulevèrent à plusieurs pouces du sol. le bruit était épouvantable et louis sentit ses manches se couvrir de braises fraîches. ses cheveux pétillaient en prenant feu. brûlé vif, le dernier héritier ? la faute aux albigeois, dont l’extermination aurait désormais la vengeance politique pour raison supplémentaire ? le peuple peinait à comprendre les subtilités d’une hérésie, mais la détresse d’une mère saurait l’émouvoir. c’était parfait pour blanche. vraiment parfait. louis entrouvrit les yeux. puis releva la tête. l’explosion avait touché directement les parois de sa chambre, et une ouverture de plusieurs mètres avait arraché le mur extérieur. la fumée s’échappait naturellement vers le ciel. les couvertures brûlaient, ainsi que les livres, les fauteuils et la table d’écriture, mais lui était sauvé. il s’approcha en chancelant des pierres qui entouraient l’ouverture, fendillées comme des grosses dents de chien, branlantes sous ses bottes. il chercha des yeux la bataille, et au-delà, les champs d’oliviers… parfois, à la faveur d’un coup de vent, il pouvait apercevoir des bribes de combat, mais ces éclipses étaient trop fugaces pour déterminer qui faisait quoi. en contrebas, à quelques pouces des pieds de louis, l’éboulement avait formé comme un escalier naturel. pour fuir la prison, il suffisait de dévaler le tas de granit, sans tomber ni se tordre les chevilles. louis ne prit même pas le temps de réfléchir : il s’élança dehors, arrachant des bouts de chemise quand il glissait, se brûlant, à maintes reprises, le bout des doigts. il arriva en bas sans difficulté. l’arrière-jardin sud était, en temps normal, le lieu de rencontre favori des jeunes gens de la cour. on y cueillait des fleurs, on y déclamait des poèmes, on y forçait des virginités. mais ce jour-là, tout autour de louis, ne régnait qu’un chaos inquiétant. une statue décapitée de saint-jean le baptiste trônait au croisement de deux allées, écrasant un parterre de lys. des pierres noircies déformaient les alignements de plantes aromatiques. l’odeur d’herbe fraîchement coupée disparaissait sous les effluves de poudre. et les soldats couraient partout, sans prendre attention à l’héritier couvert de suie, méconnaissable. louis sourit. c’était la première fois de toute sa vie qu’il était libre. il vérifia que le capitaine jones allait bien – pas de problème, il suivait comme toujours, l’air piteux mais pas blessé. bien sûr la première enceinte paraissait infranchissable, car il aurait fallu passer plusieurs postes de garde attentivement surveillés. mais ce n’était pas si grave. la liberté, même enclavée dans une guerre et une cour, était vertigineuse. quelques rangées de buisson permettaient de se dissimuler aux regards les plus attentifs… jamais louis n’avait été autorisé à jouer dans le jardin sans précepteurs. sauf qu’en ce jour, les carrés de plantations ne l’intéressaient pas. il serait trop vite repéré s’il se mettait à arracher les fleurs ou pourchasser les papillons. sans hésiter, il se dirigea vers le petit cabanon qui servait de remise aux jardiniers. il aurait pu choisir les écuries ou les remparts, mais c’était dangereux, on risquait de le reconnaître. dans le cabanon il serait seul, et les fentes dans les cloisons permettaient de voir sans être vu. c’était un jeu qu’il appréciait particulièrement lorsqu’enfant, on le laissait se tapir derrière les rideaux. combien de conversations coquines avait-il pu surprendre ! et combien de belles dames urinant discrètement dans des vases… il en tressaillait encore. c’était comme si l’invisibilité permettait tout. comme si ne pas exister autorisait tous les débordements. la seule idée de ce cabanon était érotique. À l’intérieur, tout était sombre. le soleil tombait par petits éclats sur des détails : fourches, faux, serpes, bêches, pioches – et les outils ressemblaient à des armes. louis laissa son doigt se couper sur une pique. si un chien d’albigeois venait lui chercher querelle – en admettant que blanche perde cette bataille, – il aurait de quoi se défendre avec honneur. bien sûr, il n’avait pas encore commencé l’apprentissage du combat, mais il était un roi, et les rois étaient protégés par dieu. rassuré, louis commença à observer les allers et venues autour du cabanon. on n’y voyait pas très bien, les différents orifices entre les planches ne permettaient qu’un champ de vision étroit, mais c’était mieux que rien. au gré des renforts, des escouades de soldats passaient, toujours dirigées vers le nord. en sens inverse, quelques rares blessés étaient tirés vers l’arrière. seuls les nobles pouvaient prétendre être soignés immédiatement : pour les simples fantassins touchés par une catapulte ou une flèche, il faudrait attendre la fin des combats. c’est en observant du côté est que louis découvrit la demoiselle. À vrai dire, elle n’était demoiselle que dans l’esprit de louis, pour le reste il apparaissait que c’était une servante. ses vêtements de grosse laine, trop chauds pour le printemps, lui boursouflaient la taille, et elle avait perdu ses sabots. il était difficile de deviner ce qui lui était arrivé. elle gisait à demi renversée sur un arbuste, son visage perdu dans les branchages. ce n’était pas embêtant : louis se souciait peu de ce visage. il y avait beaucoup de sang autour du corps. sans doute un éclat de pierre reçu en pleine tête alors qu’elle apportait de l’eau aux soldats : ses cruches étaient renversées tout autour d’elle. la chute sur l’arbuste avait soufflé sa robe et ses jupons presque jusqu’aux cuisses. louis colla son œil contre la paroi abîmée du bois. une écharde lui rentra dans la joue et cela n’avait plus aucune importance. s’il plissait les yeux, peut-être pourrait-il apercevoir ce qui se cachait dans l’ombre, là où l’étoffe écarlate cachait le plus intéressant. les riches et puissantes femmes de la noblesse portaient des bas et des culottes, mais les jambes de la demoiselle étaient nues. au gré du vent qui soulevait doucement le tissu, louis aurait pu jurer qu’elle ne portait rien sur ses parties défendues. mais défendues par qui, au juste ? elle était morte, ou trop blessée pour bouger, et la seule défense qui intéressait les soldats était celle du château. un bruit derrière lui fait tressaillir louis. presque rien. juste une bêche qui avait glissé au sol. — ne me regarde pas comme ça, dit-il timidement au capitaine jones. mais toujours muet, le capitaine jones regardait. parfois dans la direction de louis… parfois un peu plus loin, vers le derrière de la demoiselle morte, comme s’il y distinguait un secret connu de lui seul. louis se sentit rougir. il avait beaucoup écouté les courtisanes, beaucoup observé leurs bouches carmin et la malice dans leurs yeux. elles les aimaient, les capitaines, si virils, insolents, prêts à tout… c’était même un de leurs sujets de conversation favoris. de dépit, louis repoussa le capitaine jones, qui reprit immédiatement sa place, sans prêter attention à la pichenette. le futur roi de france regretta de n’être encore qu’un enfant. il se sentait tenu à l’écart d’un mystère encore plus essentiel que celui de la transsubstantiation. il aurait voulu crever l’œil noir du capitaine. dehors, quelqu’un cria que le « petit roi » avait disparu. décidé à profiter de ses derniers instants de liberté, louis se plaqua à nouveau contre la petite ouverture dans le bois. la fente était à peine assez large pour son œil. miraculeusement, pendant les quelques secondes où il s’était retourné, un courant d’air avait soufflé sur le jardin. les jupons et la robe avaient volé et s’étaient pris dans les branches de l’arbuste. les fesses de la femme morte étaient bien visibles. la lividité cadavérique les rendait trop blanches, mais c’était beau quand même, estima louis, et il remercia intérieurement dieu d’avoir fait souffler le vent. il faisait chaud, dans le cabanon. À moins que ce fût autre chose. louis aurait fermé les yeux si les fesses de la demoiselle ne l’avaient pas hypnotisé. il sentait son corps réagir comme jamais auparavant. l’intensité des mouvements dans son bas-ventre faisait presque peur. il avait déjà connu des étonnements, des instants d’ardeur, des demi-rigidités qui lui avaient évoqué le corps de ses frères aînés quand il avait baisé leur front avant l’inhumation. mais cette fois, c’était plus fort. c’était vraiment dur. c’était une explication enfin cohérente de la manie de blanche d’appeler « sabre » les parties honteuses des hommes. louis sursauta alors que l’image de sa propre mère se superposa sur le corps de la servante. les fesses lourdes, un peu graisseuses, dont lui-même était sorti. et où il éprouvait le besoin, urgent, de retourner. mais pas encore. un nouveau frisson le saisit lorsqu’il posa sa main sur son sexe. il fallait toucher. les cardinaux prétendaient que c’était interdit, mais pour un roi c’était différent. entre eux, les valets de chambre parlaient volontiers des plaisirs de la main, et des salissures de l’âme qui en résultaient. on pouvait attraper la peste ou se réveiller avec une main poilue et griffue, signe de honte et de malice. mais pas quand on était roi. alors louis laissa glisser sa main le long de son « sabre » et personne n’avait le droit de le juger. un jour, bientôt, son corps entier serait aussi dur. comme les statues de ses pères. le front appuyé sur les planches rugueuses, louis se laissa porter par ses sensations, et oublia tout. les albigeois pouvaient même gagner cette bataille : plus rien n’avait d’importance. son sexe s’était dressé et sa vie ne serait plus jamais comme avant. blanche serait bien obligée de respecter l’autorité naturelle du sexe fort. louis était né pour guider la france, son destin serait fait de croisades sublimes et de voyages en orient. il foulerait byzance aux pieds. il prendrait jérusalem. il chevaucherait des créatures ailées, comme celles qui, selon les cathares, avaient créé cet univers corrompu. sa gloire se compterait en milliers de morts, mais on honorerait son nom comme celui d’un saint, et le sang ne l’éclabousserait pas. il serait au-dessus des autres, différent des autres, un peu plus proche de dieu. comme dans ce cabanon. la porte s’ouvrit dans un claquement. louis cligna des yeux, aveuglé par la lumière. plusieurs silhouettes se détachaient en contre-jour, mais ce fut la voix de blanche qui l’aida à comprendre la situation : — où étais-tu ? les hommes t’ont cherché partout ! la guerre, et toi tu disparais ! louis la regarda sans rien dire. son pantalon était tombé sur ses chevilles et sa chemise déchirée ne cachait rien de ses occupations. sa main était encore posée sur son sexe. il avait tout simplement oublié de l’y enlever. blanche, terrorisant du regard les hommes qui ricanaient, leva les bras au ciel. ils étaient quinze à l’entourer, tous vigoureux comme des étalons et fidèles comme des chiens. leurs capes bleues portaient les couleurs de la france et du ciel. — fils indigne, asséna la voix aiguë. pourquoi fallait-il que tu sois crétin en plus d’être héritier ? il n’osa pas répondre. blanche était en beauté. elle portait aujourd’hui une tenue martiale qui lui serrait la taille, et ses cheveux étaient relevés haut sous sa coiffe. louis repensa aux courbes de la servante molle, et sans même s’en rendre compte, recommença à caresser son sexe. il fixait sa mère, droit dans les yeux. il se sentait encore ivre de liberté. blanche fit un pas dans le cabanon, l’attrapa sèchement par le col. autour d’elle les jeunes chevaliers étaient hilares. — qu’est-ce que c’est que ça ? demanda blanche en désignant les parties honteuses de son fils, cachées par les mains toujours caressantes. louis haussa les épaules d’un air bravache. — c’est le capitaine jones. blanche resta à le regarder quelques instants, son expression de fureur totalement neutralisée. — le capitaine quoi ?? — jones. le capitaine jones. — tu as donné un nom à ton petit bout. un nom breton. blanche, la belle blanche de castille, trépignait. sa lèvre supérieure tremblait sous les pressions contraires de l’hilarité et de la rage. ses joues étaient devenues plus rouges que ses souliers, et ses mains plus pâles que celles des cadavres. louis baissa la tête, soudain conscient du nombre de personnes qui observaient la scène – tous des adultes, au fait des règles du jeu, des interdits implicites. sa main se détacha enfin de son sexe. le capitaine jones s’était fait tout petit. — ce n’est pas un petit bout. blanche hurla de rire – hurla, vraiment, comme une louve. pendant quelques instants les combats semblèrent cesser, le silence était absolu, il n’y avait que cet aboiement femelle qui partait par vagues frénétiques s’écraser dans les parois du cabanon. le son était étouffé. au moins, cette honte-là lui serait épargnée. sans cesser de rire, blanche tira son fils vers elle. l’étreinte fut plus longue que jamais – la seule fois où elle avait pris louis dans ses bras, c’était après sa naissance, les quelques secondes qui avaient précédé la mise en nourrice et les années d’absence. l’étreinte dura comme une indécision. bizarrement, louis pensa que tout était résolu. il suffisait de renoncer au trône et à la maturité, de rester le fils de sa mère, le nez entre ses seins. mais quand il sentit les bras de blanche se contracter, il sut que cela ne se produirait jamais. il n’y aurait pas de seconde chance, et pour personne, de seconde enfance. la première gifle de blanche, la belle blanche de castille, aux mains couvertes d’émeraudes, lui arracha la peau de la joue. la deuxième visa directement le capitaine jones. louis tomba à genoux. il ne voulait pas pleurer. surtout, ne pas pleurer. mais la peur gonflait en lui comme une force nouvelle – il avait trop peur pour pleurer, trop peur que le capitaine jones soit endommagé. il résista à l’envie de se rouler en boule autour du capitaine, de le serrer contre lui, de le cajoler, avant de l’oublier pour que la douleur ne se reproduise jamais. mais il était trop tard pour revenir en arrière. le plaisir qu’il avait ressenti, l’extase, la sensation de pouvoir : jamais il ne pourrait oublier cette joie pleine. sa mère ou le capitaine jones. il fallait choisir, tout de suite. comme tous les petits garçons, louis serra les dents et releva la tête. — c’est pas un « petit bout ». je suis un homme. c’est la preuve que moi, je suis un homme, alors que toi dans onze mois tu seras seulement une femme. après un silence interminable, louis osa regarder directement sa mère. il sentait comme une approbation, de la part des chevaliers – certains d’entre eux seraient présents autour de lui en tant que pairs, lors de son sacre. il prêterait serment devant eux, pénétrerait leur monde d’hommes, et recevrait de leur main les éperons et l’épée. un évêque le caresserait avec l’onction, en sept endroits. il jurerait de défendre le royaume de france en posant sa main sur l’épée de charlemagne, qu’on appelait « joyeuse ». louis pensa à l’épée et au capitaine jones. il ne cillait plus, n’avait même plus envie de pleurer – c’était bon pour les enfants et les femmes. blanche en avait les bras ballants. — les albigeois sont moins hérétiques qu’une femme en possession d’un château, déclara louis d’une voix qu’il aurait voulue forte. le calme retomba sur le cabanon. la guerre reprit son cours. le temps passa trop vite pour que louis se souvienne. sa propre insolence lui rappelait l’ivresse des vins piquants du sud. son cœur battait dans ses oreilles, comme si le capitaine jones avait changé la place de ses organes. au moins il n’y avait-il pas eu d’autres gifles, ni de moqueries. blanche s’était éloignée avec un demi-sourire, emportant avec elle ses beaux chevaliers et leurs sabres. quatre étaient restés pour escorter louis en lieu sûr. et quoi de plus sûr, pour échapper aux catapultes, qu’une cave ? mais louis se moquait des rats et du parfum des moisissures. il suffisait de tenir onze mois et onze jours. sans poison, sans complot, sans chute mortelle dans les escaliers. ce ne serait pas facile mais quoi que blanche en dise, louis sentait la présence rassurante du capitaine jones près de lui. il n’était pas seul. bientôt il serait un homme, et bientôt, il gouvernerait tous les autres hommes. onze mois, onze jours. aucun commentaire aucun rétrolien lundi 26 mars 2018 ma vie sexuelle est plus grosse que la tienne (preview, sortie fin 2018) par maïa mazaurette le lundi 26 mars 2018, 00:31 2 commentaires aucun rétrolien samedi 24 mars 2018 ma vie sexuelle est plus grosse que la tienne - preview par maïa mazaurette le samedi 24 mars 2018, 18:40 2 commentaires aucun rétrolien dimanche 2 juillet 2017 epuisement (une nouvelle illustrée) par maïa mazaurette le dimanche 2 juillet 2017, 20:03 note préalable : j'ai écrit et dessiné cette histoire il y a plus d'un an. je n'ai jamais su quoi en faire, elle appartient à mon corpus secret de textes non publiés :) puisque je travaille à nouveau sur des nouvelles illustrées, voici donc comment j'ai commencé. feedback bienvenu ! 6 commentaires aucun rétrolien dimanche 28 mai 2017 avant que je me fasse virer par instagram... par maïa mazaurette le dimanche 28 mai 2017, 01:55 un commentaire aucun rétrolien samedi 27 mai 2017 je travaille sur un livre par maïa mazaurette le samedi 27 mai 2017, 16:01 un commentaire aucun rétrolien reprise en main par maïa mazaurette le samedi 27 mai 2017, 15:42 un commentaire aucun rétrolien vendredi 26 mai 2017 recherches par maïa mazaurette le vendredi 26 mai 2017, 15:58 un commentaire aucun rétrolien mercredi 24 mai 2017 la battle (un projet qui n'est jamais paru) par maïa mazaurette le mercredi 24 mai 2017, 20:09 un commentaire aucun rétrolien dimanche 21 mai 2017 crayonnés par maïa mazaurette le dimanche 21 mai 2017, 19:59 un commentaire aucun rétrolien vendredi 18 septembre 2015 en ce moment... je fais des affiches de film par maïa mazaurette le vendredi 18 septembre 2015, 03:06 2052 commentaires aucun rétrolien samedi 30 mai 2015 l'invitation par maïa mazaurette le samedi 30 mai 2015, 06:42 (je profite de l'occasion pour remercier les trois personnes qui traînent par ici. j'aime cet espace semi-privé. au fond à gauche du web.) 1722 commentaires aucun rétrolien samedi 16 mai 2015 portes closes par maïa mazaurette le samedi 16 mai 2015, 04:51 2033 commentaires aucun rétrolien israel par maïa mazaurette le samedi 16 mai 2015, 04:49 2823 commentaires aucun rétrolien travail en groupe par maïa mazaurette le samedi 16 mai 2015, 04:42 1793 commentaires aucun rétrolien nu masculin par maïa mazaurette le samedi 16 mai 2015, 04:40 1885 commentaires aucun rétrolien en soirée folle par maïa mazaurette le samedi 16 mai 2015, 04:34 235 commentaires aucun rétrolien au cinéma à newyork (the avengers) par maïa mazaurette le samedi 16 mai 2015, 04:33 2673 commentaires aucun rétrolien dimanche 16 février 2014 prière d'insérer par maïa mazaurette le dimanche 16 février 2014, 22:21 j'ai ce truc avec les têtes d'animaux depuis longtemps. 570 commentaires aucun rétrolien sans motif particulier par maïa mazaurette le dimanche 16 février 2014, 01:20 880 commentaires aucun rétrolien « billets précédents - page 1 de 2 vous pouvez me suivre par rss comme si on était en 2005. fil des billets fil des commentaires pages about i write in english too - propulsé par gandi hébergement avec dotclear 2 - informations légales

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Creation Date: 2009-02-05T09:08:19Z
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Registrar: Gandi SAS
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